Début septembre, les services estoniens de sûreté intérieure, la KAPO, ont interpellé deux personnes soupçonnées de trahison d’État au profit du GRU, la direction générale des renseignements de l’État-major des forces armées de Russie. Les personnes arrêtées sont un major de l’armée estonienne travaillant à l’État-major et son père. Ils sont accusés d’avoir transmis des informations classées estoniennes et étrangères pendant cinq ans. Comme ils sont russophones, cette arrestation a fait réagir les députés du parti EKRE qui ont assailli le Premier ministre de questions au Riigikogu. Selon eux, la possibilité pour des non-Estoniens d’avoir accès à des informations sensibles devrait faire l’objet d’un plus grand contrôle. De son côté, le chef du gouvernement a rejeté l’idée en arguant qu’il ne fallait en aucun cas lier origine ethnique et risque de trahison au profit d’une puissance étrangère.
L’interdiction pour les citoyens estoniens d’être citoyen d’un autre pays a été une nouvelle fois au cœur de l’actualité : des Estoniens d’Abkhazie ont découvert que l’État estonien leur avait octroyé le statut de « citoyen de naissance » par erreur, une situation les mettant sous le coup d’une déchéance de nationalité s’ils ne renonçaient pas à leur passeport russe (un document essentiel pour faciliter le quotidien dans cette région du Caucase). Ce cas a une nouvelle fois mis en lumière les changements de lecture par les autorités de police de la législation et de l’octroi de la citoyenneté aux descendants des Estoniens qui vivaient hors d’Estonie dans les années 1920 et 1930. Cette histoire de double citoyenneté a fait réagir la présidente Kersti Kaljulaid, entre autres, qui a estimé que ces personnes ne devaient pas souffrir des erreurs commises par les services de l’État. En septembre, le Parti de la Réforme (opposition) a déposé une proposition d’amendement pour autoriser les citoyens estoniens à être aussi citoyens d’un pays de l’Espace économique européen, des États-Unis, du Canada, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Suisse. Toutefois, le texte a été rejeté par le Parlement, certains, comme la députée Oudekki Loone (Parti du Centre, majorité), le jugeant uniquement politique.
Depuis quelques années, un produit, le MMS (Mineral Miracle solution ou supplément alimentaire minéral miraculeux), une solution à base de chlorite de sodium, rencontre un certain succès en Estonie. Venu des États-Unis, il est présenté comme une solution miracle pour soigner nombre de maladies. Il a attiré l’attention des autorités et du public en 2015 lorsqu’il a été révélé qu’un groupe communautaire conseillait de boire cette solution (dans une version allégée) et d’en donner aux enfants. Afin de contourner les règles sanitaires, le produit est vendu comme solution pour bain de bouche. Depuis, autorités sanitaires, journalistes et politiques luttent contre ce produit. En 2018, Facebook a accepté de fermer le groupe communautaire ; les banques et le service de paiement en ligne PayPal ont pris la décision de mettre fin à leur collaboration avec le site Internet vendant le produit. De manière plus générale, c’est toute la question des médecines alternatives et de l’automédication qui est au cœur du débat. Début octobre, c’est l’utilisation du kambo, la sécrétion d’une grenouille amazonienne, qui a fait l’actualité après la mort d’un homme.
Née en Estonie en 2008 sous le nom Teeme ära! et devenue mondiale à partir de 2012, l’initiative Let’s Do it ! World poursuit sa croissance. L’année 2018 a marqué une nouvelle étape puisque les initiatives dans les différents pays ont été mutualisées et qu’elles se sont toutes tenues le même jour, le World Clean Up Day. Le développement se lit aussi à travers le nombre personnes et de pays impliqués : 13 millions de personnes dans 156 pays ont participé aux actions de nettoyage en 2018. Lauréat du Prix du Citoyen européen (Parlement européen) en 2017, la Fondation Let’s Do it! World a été récompensée en 2018 du Prix UNESCO-Japon pour l’éducation au développement durable.
À la surprise générale, le Théâtre NO99 a annoncé fin octobre sa fermeture après 14 ans d’activités. Fondation de l’État estonien portée notamment par le couple Tiit Ojasoo – Ene-Liis Semper, ce théâtre était devenu une institution centrale du théâtre estonien contemporain. Outre des productions théâtrales régulières, NO99 a fait l’actualité avec des productions ponctuelles. En 2010, la troupe a monté Ühtne Eesti Suurkogu (Congrès d’Estonie unie), un spectacle prenant la forme du congrès fondateur d’un parti politique joué devant 7200 personnes. Fictif, ce « mouvement » a pourtant été pris très sérieusement dans la société estonienne pendant les semaines précédentes, si bien que beaucoup ont cru à la naissance réelle d’un nouveau parti estonien. Lors de la campagne électorale de 2015, le théâtre NO99 a attiré tous les regards avec sa tragédie antique Savisaar. Depuis 2016, l’image du théâtre était quelque peu ternie par les violences physiques dont a été coupable Tiit Ojasoo. Dans ce contexte, le choix de NO99 pour réaliser le film de la soirée présidentielle du 24 février 2018 a été fortement critiqué. Le film, à propos duquel les avis ont été très partagés, notamment en raison de son coût, n’a pas réussi à faire taire les critiques. Si les avis étaient toujours partagés à propos des productions proposées, la majorité des réactions regrette la fermeture de cette troupe qui a su insuffler un renouveau en Estonie. Farouchement opposé à NO99 et à son financement par l’État, le parti conservateur EKRE s’est en revanche félicité de la décision, le député Jaak Madison décrivant l’événement comme une victoire.
Plusieurs créations cinématographiques et télévisuelles du programme EV100, deux films, un documentaire et une série télévisée, ont été présentées après l’été. Võta või jätta (À prendre ou à laisser) de Liina Trishkina-Vanhatalo a pour thème central la paternité. Un jeune Estonien découvre que son ancienne petite amie est enceinte. À la naissance, la jeune mère met le père devant le choix suivant : élever l’enfant seul ou le laisser à l’adoption. Il choisit la première solution. Film de Kaur Kokk, Põrgu Jaan suit, au début du XVIIIe siècle, la vie d’un homme retrouvé amnésique par deux garçons de ferme et qui se retrouve à vivre dans le manoir local. De son côté, le documentaire Tuulte tahutatud maa de Joosep Matjus présente la nature sauvage de l’Estonie, ses paysages et leur diversité, sa faune. Enfin, la série Pank, réalisée par Rainer Sarnet, Juhan Ulfsak, Marianne Kõrver, Jan-Erik Nõgisto et diffusée sur la chaîne nationale ETV, plonge le téléspectateur dans le milieu bancaire et l’Estonie des années 1990.
Enfin, mi-octobre, un centre dédié à Arvo Pärt a ouvert ses portes à Laulasmaa (région de Harjumaa). Destiné à conserver et à présenter l’œuvre du compositeur, ce lieu est le résultat d’un concours d’architecture lancé en 2013 pour remplacer la maison où ses archives avaient été entreposées depuis 2010.
L’Estonie se retrouve impliquée dans un important scandale bancaire. Pendant de nombreuses années, la banque danoise Danske Bank a fait transiter des fonds à l’origine incertaine via sa branche estonienne. La structure est soupçonnée d’avoir blanchi près de 200 milliards d’euros par des comptes bancaires de non-résidents estoniens entre 2007 et 2015. L’inspection financière estonienne avait dès 2014 découvert des infractions au sein de l’organisme et demandé la fin de ce système de comptes pour non-résidents. En 2015, la filiale estonienne de Danske Bank a déjà fait la Une de l’actualité lorsque la direction locale avait été subitement remplacée après la découverte d’une première affaire de blanchiment d’argent russe entre 2011 et 2014. En septembre 2018, l’affaire a entraîné la démission de Thomas Borgen, le directeur de la banque au Danemark, qui avait été un temps responsable des activités de Danske Bank dans les États baltes.
L’actualité politique est quant à elle occupée principalement par les élections législatives à venir. Les partis politiques se mettent en ordre de bataille en présentant slogans et futures têtes de liste. Actuellement, selon un sondage Turu-uuringute AS, c’est le Parti du Centre du Premier ministre Jüri Ratas qui est en tête avec 30 % des intentions de vote, devant le Parti de la Réforme (28 %) et EKRE (17 %). D’après ce sondage, parmi les autres partis, seul le Parti social-démocrate, qui a su convaincre l’électron libre Indrek Tarand de se présenter sur sa liste, dépasserait avec certitude le seuil électoral de 5 % (12 %). De son côté, l’historique Isamaa (ex-IRL) est crédité exactement de 5 %. Un sondage Kantar Emor place lui le Parti de la Réforme en tête (28 %), devant le Parti du centre (25 %), EKRE (16 %) et le Parti social-démocrate (14 %). Si Isamaa se situe là aussi autour de 5 %, il faut noter les 6 % d’intentions de vote pour Eesti 200, mouvement centriste né au printemps et constitué en parti politique le 3 novembre, qui entrerait donc au Parlement en mars.
Côté programmes, la question fiscale (impôt sur le revenu, taxes) constitue l’un des thèmes centraux actuellement. Alors qu’il s’est opposé aux mesures mises en place cette année par la coalition gouvernementale, le Parti de la Réforme propose d’uniformiser de nouveau la limite des revenus non imposables en appliquant la même limite de 500 euros pour tous les contribuables (après s’être opposé à l’augmentation de la limite par le gouvernement). De son côté, le mouvement des Réformateurs de l’État (qui n’est pas un parti politique) a estimé qu’il fallait réduire les effectifs de l’État de moitié et repenser le fonctionnement du gouvernement.
Photo : www.kylauudis.ee, Urmas Saard