L’un des temps forts de ces deux dernières semaines en Estonie a inévitablement été la fête nationale, le 24 février. Outre les événements rituels de ce jour (levée du drapeau au sommet de la tour Pikk Hermann, parade militaire et réception présidentielle), ce 24 février s’est distingué pour plusieurs raisons. Il s’agissait tout d’abord de la dernière fête nationale du mandat de Toomas Hendrik Ilves. Son discours a donc été attendu avec encore plus d’intérêt. Le président estonien a entre autres abordé la question de l’accueil des réfugiés, appelant à une plus grande ouverture de la société estonienne, et a critiqué le travail gouvernemental, pointant du doigt les querelles inutiles entre les trois membres de la coalition.
En parallèle des festivités officielles, plusieurs manifestations ont été organisées par les groupes d’extrême-droite. Le Parti de l’Unité populaire (Rahva Ühtsuse Erakond) de Kristiina Ojuland et le mouvement Soldats d’Odin ont manifesté dans le parc Tammsaare (Tallinn) pour réclamer le rétablissement de l’initiative populaire en Estonie telle qu’elle existait avant 1940. En soirée, le mouvement des jeunes du Parti populaire conservateur, le Réveil bleu (Sinine Äratus), a organisé une marche aux flambeaux (environ 1000 participants) dans les rues de la vieille ville pour appeler à la protection et à la conservation de l’identité estonienne.
Dans un registre bien moins sérieux, la réception présidentielle en tant qu’événement people et médiatique de l’année – seul le concours de l’Eurovision fait jeu égal – a une nouvelle fois attiré tous les regards. Les tenues des invités, et notamment celle de Ieva Ilves, la nouvelle épouse du président pour qui il s’agit d’une première, ont fait l’objet, comme chaque année, de multiples commentaires. Cette réception a toutefois été sujet de débat. Son utilité a été remise en cause, certaines personnalités affichent clairement leur refus de s’y rendre. Nouveauté, les députés EKRE, irrités par le non-respect des valeurs morales par le président dans sa vie privée, ont décidé de la boycotter.
Sujet récurrent dans l’actualité parlementaire : la loi sur l’union civile. Le 16 février, les députés ont débattu de deux textes, l’un porté par Vabaerakond et des élus du Parti du Centre, l’autre par des élus du Parti du Centre et d’EKRE. La première proposition de loi est une alternative à la loi votée en octobre 2014. Les élus de Vabaerakond souhaitent un texte juridique spécifique aux couples homosexuels. Si le texte a été adopté en première lecture, son parcours parlementaire est achevé. La commission des lois va désormais étudier le texte et considérer quelles propositions peuvent être reprises et intégrées à la loi d’application de la loi sur l’union civile. En ce qui concerne le texte d’EKRE et du Parti du Centre, il visait simplement l’abrogation de la loi sur l’union civile ; il a été rejeté par 41 voix contre 39.
Sur la scène politique, l’actualité a été marquée par la vie interne du Parti du Centre. Tout d’abord, le parti est mobilisé autour de son président, Edgar Savisaar, suspendu de son poste de maire de Tallinn par la justice à l’automne dernier le temps d’une enquête pour corruption. Malgré la validation de cette suspension par la Cour suprême, les soutiens de Savisaar continuent d’y voir une manœuvre politique et demandent la levée de la mise à l’écart. Une « conférence » a été organisée pour prouver l’inutilité de la mesure. Dans le même temps, les partisans de Savisaar portent désormais un ruban vert (la couleur du parti) en signe de contestation.
En parallèle, le Parti du Centre vit au rythme de l’élection des présidents des sections locales du parti. Depuis le congrès organisé en novembre, deux courants s’opposent : l’un favorable à Edgar Savisaar, l’autre à Kadri Simson, ancienne protégée de Savisaar et actuelle président du groupe parlementaire du parti. Cette opposition se retrouve à l’échelle locale et la direction centrale du parti tenue par Savisaar cherche à remplacer les présidents sortants favorables à Kadri Simson. Les efforts se sont pour l’instant avérés vains. Seule la section de Narva a basculé avec l’élection de la député européenne Yana Toom. Cette période électorale est marquée par des tensions partisanes et le style de gestion sans partage d’Edgar Savisaar est de plus en plus ouvertement critiqué.
En ce qui concerne la culture, plusieurs événements sont à noter. Très attendu, le nouveau single de la chanteuse Kerli « Feral Hearts » a paru, accompagné d’un clip tourné dans la nature estonienne. Une fois encore, Kerli témoigne de son audace et de son extravagance vestimentaire. Au cinéma, la comédie Klassikokkutulek (Réunion de classe) de René Vilbre, avec Mait Malmsten, Henry Kõrvits (Genka) et Ago Anderson, bat les records d’exploitation depuis sa sortie. Le film suit trois anciens camarades de classe qui se retrouvent à Tallinn avant la tenue d’une réunion de classe et qui tentent de revivre comme des jeunes de 18 ans.
Enfin, le chef d’orchestre Eri Klas est décédé le 26 février. Tout au long de sa carrière, il a dirigé plus d’une centaine d’orchestres symphoniques et philharmoniques dans une quarantaine de pays. Il a ainsi joué un rôle essentiel dans la diffusion des œuvres estoniennes, notamment celles d’Arvo Pärt, à l’étranger, y compris au cours de la période soviétique. Les hommages unanimes et remplis d’émotion, de la part des hommes politiques, des artistes ou des journalistes, ont rappelé la place qu’occupait le chef d’orchestre en Estonie. Ses obsèques, diffusées par la télévision nationale, ont été organisées dans la salle de concert Estonia en présence des plus hautes autorités de l’État et de nombreux représentants des institutions au sein desquelles Eri Klas avait travaillé. Actif à l’étranger, l’ancien élève de Gustav Ernesaks qui lui avait enseigné la direction de chœur, l’était tout autant en Estonie : il a été entre autres l’un des principaux chefs de l’opéra national d’Estonie et le directeur artistique du festival de musique classique Birgitta.