La tenue des élections européennes et leurs conséquences ont fait de juin un mois très politiques.

Comme dans les autres pays de l’Union européenne, les citoyens estoniens étaient appelés à élire leurs représentants au Parlement européen. Du 3 au 9 juin, 37 % des électeurs se sont rendus aux urnes (ou voter sur Internet) pour leur candidat préféré[i]. 78 candidats étaient en lice (issus de huit partis, plus quelques candidats sans étiquette) pour remporter l’un des sept sièges que compte l’Estonie.

C’est le parti Isamaa qui est arrivé en tête du scrutin avec 21,5 % des suffrages (+11 points par rapport à 2019). Portée par ces trois figures (l’eurodéputé sortant Riho Terras (23 917 voix), le président du parti Urmas Reinsalu (14 248 voix) et surtout l’ancien Premier ministre Jüri Ratas, transfuge du Parti du centre, auteur d’une campagne très active (33 612 voix)), une campagne axée contre la politique du gouvernement estonien et près d’un million d’euros de frais de campagne, la formation de droite a gagné un siège supplémentaire et sera représentée par Riho Terras et Jüri Ratas.

Bénéficiant de la popularité de sa tête de liste Marina Kaljurand, 45 626 voix, soit 64 % des voix données à ses candidats, le Parti social-démocrate (19 %, -4 pts) a conservé ses deux sièges européens. Comme entre 2019 et 2024, Marina Kaljurand sera accompagnée de Sven Mikser. En revanche, avec seulement 17,9 % des votes (-8 pts), le Parti de la réforme est l’un des perdants des élections. Sur le plan comptable, le parti de la Première ministre perd un siège et ne sera représenté au Parlement européen que par le député sortant Urmas Paet. De son côté, le parti d’extrême droite EKRE a obtenu un meilleur score qu’en 2019 (14,8 % contre 12,7 %), mais sans que celui-ci ait d’influence sur son nombre de sièges. C’est l’eurodéputé sortant Jaak Madison (quatrième candidat le plus populaire à l’échelle du pays) qui a été élu, battant par l’occasion la tête de liste et président d’EKRE Martin Helme. Enfin, affaibli par de nombreux départs, le Parti du centre a réussi à limiter les dégâts. Malgré un score en baisse de 2 points, le siège jusque-là détenu par Jana Toom a été conservé. Si le candidat le plus populaire a été le président du parti Mihhail Kõlvart, celui-ci a décidé de ne pas siéger au Parlement européen, lançant ainsi le siège à Jana Toom. Ainsi, malgré des résultats différents de 2019, les élections européennes ont débouché sur la réélection de six des sept eurodéputés sortants, le Parti de la réforme perdant un siège au profit d’Isamaa.

Parallèlement aux formations qui ont obtenu des élus, le scrutin a été marqué par le score relativement élevé du parti Parempoolsed (La Droite). Avec 6,84 % des voix, la formation de droite a plus que triplé son score obtenu lors des législatives de 2023. De son côté, le parti Eesti 200 est dans le dur puisque seulement 2,6 % des électeurs ont voté pour ses candidats. Enfin, la candidature d’Aivo Peterson pour le compte du parti Koos a été également très commentée. En détention provisoire depuis le printemps 2023 et actuellement jugé pour activités anti-estoniennes, le candidat a obtenu 3,3 % des voix (11 500 voix). Dans les semaines qui ont précédé le scrutin s’est posée la question de savoir si A. Peterson allait attirer une partie de l’électorat du Parti du centre, au point de priver celui-ci de siège européen.

Une fois les résultats des élections européennes connus, les leaders européens ont entamé les négociations en vue de répartir les principaux postes européens, à savoir la présidence de la Commission européenne, la présidence du Parlement européen, la présidence du Conseil européen et le poste de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HRAEPS). Ce débat a été particulièrement suivi en Estonie car le nom de la Première ministre Kaja Kallas était régulièrement citée pour ce dernier poste (elle était également en lice pour succéder au Norvégien Jens Stoltenberg au Secrétariat général de l’OTAN, poste revenu finalement au Néerlandais Rutte). Si l’intéressée a constamment joué la prudence et malgré certaines oppositions de la part de certains États-membres jusqu’à la décision finale, l’Estonienne a finalement été désignée candidate pour succéder à l’Espagnol Josep Borrell. Cette nomination, qui doit être confirmée par les eurodéputés, marque une grande première pour une personnalité estonienne sur la scène européenne (et un fait marquant pour une personnalité de l’ex-bloc communiste puisque seuls les Polonais Donald Tusk et Jerzy Buzek ont déjà occupé l’un des quatre postes susmentionnés).

Hasard du calendrier, parallèlement aux institutions de l’UE, se tenait également l’élection du Secrétaire général du Conseil de l’Europe. Là encore, un Estonien, Indrek Saar, était en lice. Contrairement à Kaja Kallas, l’ancien ministre de la Culture est sorti perdant du scrutin, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe lui préférant le Suisse Alain Berset.

La nomination de Kaja Kallas au poste de HRAEPS n’est pas sans conséquence en Estonie, puisque cette dernière doit quitter la tête de l’exécutif estonien. Éventualité attendue pendant de nombreuses semaines, l’annonce du départ de Kaja Kallas (qui démissionnera après le sommet de l’OTAN des 9-11 juillet) a immédiatement soulevé la question de son successeur. Le 29 juin, la direction de son parti politique, le Parti de la réforme, a choisi de ne pas attendre l’organisation d’un congrès au cours duquel un nouveau président du parti serait élu et a proposé l’actuel ministre du Climat Kristen Michal comme candidat au poste de Premier ministre (un congrès sera organisé plus tard pour officialiser son accession à la présidence du parti). Cette décision met fin à la longue attente de Michal, personnalité de son parti depuis les années 2000, qui a dû à plusieurs reprises laisser la place à d’autres. Au début des années 2010, un scandale lié au financement du parti l’avait contraint à la démission du ministère de la Justice et à une mise en retrait, ce qui ne lui a pas permis d’accéder à la tête du parti à la fin de l’ère Ansip. En 2017, il a échoué à se faire élire à la tête du parti face à Hanno Pevkur, autre personnalité de la formation politique libérale. Si la coalition formée le Parti social-démocrate et Eesti 200 devrait être reconduite, les récents résultats (et les rééquilibrages au Parlement dus à de nombreux changements de camp) semblent motiver les Sociaux-Démocrates à obtenir plus en termes de postes.

Le scrutin européen passé, l’heure a aussi été au bilan pour les formations politiques, avant tout Eesti 200 et EKRE. Face à l’échec de sa formation, le président du parti Eesti 200 et ministre des Affaires étrangères Margus Tsakhna a annoncé qu’il ne se représenterait pas lors du prochain congrès du parti, moins d’un an seulement après avoir été élu, déclenchant une lutte interne au parti. L’après élections européennes a été surtout tendu du côté d’EKRE. Alors que le congrès du parti se profilait une semaine seulement après les élections européennes, avec deux candidats à la présidence, le président sortant Martin Helme et le président de la section locale du parti de Tartu, Silver Kuusik, la situation a tourné au règlement de comptes. Dès le 9 juin, alors que les électeurs étaient encore en train de voter, Martin Helme a accusé Silver Kuusik et un certain de personnalités du parti (dont certains étaient candidats aux Européennes) de fomenter un coup pour prendre le parti en mains. Deux jours plus tard, lors d’une réunion de la direction du parti, le président Martin Helme et ses soutiens (dont son père, sa belle-mère et sa femme), partisans d’une ligne politique radicale, ont décidé d’éliminer ceux qui avaient osé se dresser contre eux, notamment Silver Kuusik, Jaak Valge, une autre figure du parti à Tartu, ainsi qu’Henn Põlluaas, co-fondateur du parti, vice-président du parti et ancien président du Riigikogu estonien (2019-2021). Face à un tel acte, Jaak Madison, eurodéputé fraîchement réélu, a annoncé son départ du parti, faisant perdre ainsi à EKRE son siège au Parlement européen ! Dans les jours qui ont suivi, ce départ a été accompagné de plusieurs centaines d’autres, notamment ceux du président d’honneur du parti, l’ancien président de la République Arnold Rüütel et de sa femme, qui étaient restés membres après que l’Union populaire (Rahvaliit) est devenue EKRE en 2012. Le 16 juin, pendant que Martin Helme était réélu sans opposition à la présidence d’EKRE, les désormais anciens membres ont annoncé leur intention de créer un nouveau parti, les Patriotes et Conservateurs d’Estonie (Eesti Rahvuslased ja Konservatiivid), avec passage à l’acte le 29 juin. Le nouveau parti est dirigé par Henn Põlluaas.

Déjà bien chargé à cause des élections européennes, le mois de juin a aussi été marqué par le débat autour du financement des réserves en armes et en munitions de l’armée estonienne. Le 12 juin, le secrétaire général du ministre de la Défense Kusti Salm a annoncé sa démission, estimant que l’Estonie ne faisait pas assez pour son réapprovisionnement en munitions. Selon lui, 1,6 milliard d’euros serait nécessaire, un montant que le ministre Hanno Pevkur connaissait mais sans que celui soit suivi d’effets. Au-delà du débat, l’affaire a en partie discrédité le ministre face à Kristen Michal dans la course au poste de Premier ministre.

Enfin, le président de la République Alar Karis a décidé de ne pas promulguer la loi créant la très controversée taxe automobile. Selon le chef d’État, le texte législatif comporte des dispositifs qui discriminent certaines personnes handicapées par rapport aux autres. En effet, la loi stipulait que les personnes devant adapter leur véhicule à leur situation de handicap serait exemptée de la taxe, contrairement aux personnes dont le handicap n’impose pas de modifications. Les opposants à la nouvelle taxe y ont vu une victoire, mais il est fort probable que le texte soit modifié afin de le rendre constitutionnel et accepté par le président.

Une fois encore, la situation à la frontière russo-estonienne a fait les gros titres de la presse. En effet, le 20 juin, un allongement de la durée du traitement des entrées par les gardes-frontières russes, officiellement en raison d’un manque de personnel, a entraîné une file d’attente sur le pont reliant l’Estonie à la Russie. Alors que près de 500 personnes attendaient, les autorités estoniennes ont décidé de fermer le poste-frontière dans le sens des sorties. La même situation s’est renouvelée le lendemain, bloquant de nombreuses personnes qui souhaitaient aller en Russie pour les trois jours du week-end de la Saint-Jean. Estimant qu’il s’agissait d’une mesure volontaire de la Russie avant la tenue du défilé militaire estonien du Jour de la Victoire (23 juin) à Narva, une première depuis 1996, les autorités estoniennes ont finalement décidé de fermer le poste-frontière pour le samedi 22 et le dimanche 23 juin. Le défilé terminé, le rythme des passages à la frontière semble être redevenu normal.

Deux verdicts ont aussi été très commentés. Tout d’abord, l’ancien enseignant de l’université de Tartu Viatcheslav Morozov, interpelé début 2024, a été condamné à six ans de prison, dont trois fermes, par le tribunal de la région de Harjumaa. Il a été reconnu coupable d’espionnage au profit du GRU, le renseignement militaire russe et d’activités anti-estoniennes. Aussi, le même tribunal a rendu son verdict dans le procès phare des anciens directeurs Port de Tallinn, une saga judiciaire commencée en 2015 et jugée depuis 2019. Le tribunal a décidé d’acquitter les accusés estimant que les actes de corruption dont on les accusait étaient prescrits (car les accusés, bien que dirigeants d’une entreprise d’État, n’ont pas été considérés comme étant des agents de l’État, auquel cas le délai aurait été plus long). Cette issue a entraîné des critiques envers une justice trop lente.

À Tartu, la semaine qui a précédé la Saint-Jean a été rythmée par les différents concerts et représentations de la Fête du chant et de la danse organisée pour l’année culturelle européenne. Le programme a été lancé le 16 juin avec une messe dans l’Église Sainte-Marie, le berceau des fêtes du chant, et par les deux représentations de danse qui ont réuni 2300 danseurs et s’est conclu le 22 juin avec la fête du chant à laquelle 10000 choristes et musiciens ont participé.

En sport, les Estoniens ont brillé dans plusieurs disciplines. En athlétisme, Johannes Erm est devenu champion d’Europe du décathlon, devenant le deuxième Estonien à réaliser une telle performance après Erki Nool en 1998. Il succède à Janek Õiglane qui était monté sur la troisième marche du podium lors des championnats d’Europe 2022. De son côté, l’escrimeuse Irina Embrich, 41 ans, a remporté la médaille d’or à l’épée aux championnats d’Europe de Bâle. Ce premier titre international individuel s’ajoute aux trois autres médailles individuelles et neuf par équipe (trois titres dont l’or olympique) déjà gagnées depuis 2002. Comme Erm et Embrich, la nageuse Eneli Jefimova est elle aussi devenue championne d’Europe en remportant le 100 m brasse à Belgrade. Cette victoire représente le premier titre international en grand bassin pour la natation estonienne. Enfin, l’équipe d’Estonie de football a remporté la Coupe baltique en dominant la Lituanie en finale. Il s’agit du cinquième titre pour l’Estonie dans cette compétition, le premier depuis 2020.

Enfin, en 2024, la ville de Tartu est capitale européenne de la Culture. En 2025, deux villes estoniennes porteront un titre distinctif. Si Tallinn sait depuis novembre 2022 déjà qu’elle sera capitale européenne du sport, un autre titre a été décerné en juin 2024, celui de capitale finno-ougrienne de la culture. C’est la ville estonienne de Narva qui a été choisie (face à la ville ukrainienne de Nijyn). Il s’agira de la troisième fois qu’une localité estonienne porte ce titre, après Obinitsa (Setomaa) en 2015 et Abja-Paluoja (Mulgimaa) en 2021.

Photo : Vincent Dautancourt

[i] En Estonie, les électeurs votent pour un candidat unique. Chaque voix est ensuite attribuée à la liste sur laquelle le candidat se présente et les sept sièges d’eurodéputé sont repartis entre les listes selon un système de quotient et attribués aux candidats qui ont obtenu le plus de voix sur la liste.