En novembre, la guerre en Ukraine a continué d’être une influence essentielle de l’actualité estonienne.
Très active depuis le début du conflit, Johanna-Maria Lehtme, qui a fondé l’association Slava Ukraini dont la principale mission est l’acheminement de l’aide humanitaire estonienne en Ukraine, a été désignée Citoyenne de l’année 2022 par le ministère de l’Intérieur. De même, l’Association estonienne des Femmes entreprenantes (Eesti Ettevõtlike Naiste Assotsiatsioon) lui a remis le titre de Femme de l’année. En août, la jeune femme s’était déjà vu honorer du titre d’Européenne de l’année (par l’association Eesti Euroopa Liikumine).
De l’ordre du symbolique encore, la Banque centrale d’Estonie a mis en circulation une pièce spéciale de deux euros en l’honneur de l’Ukraine.
Sur le plan politique, la question du droit de vote des citoyens de Russie aux élections locales est restée au premier plan de l’actualité. Bien que le gouvernement eût annoncé en octobre, après indiqué l’absence de consensus en son sein, que le dossier n’avancerait d’ici à la fin de la législature en cours, le groupe parlementaire du Parti de la réforme (donc pas le gouvernement) a déposé une proposition de loi concurrente de celle portée par Isamaa. Les deux textes diffèrent pour plusieurs raisons. Si le texte d’Isamaa vise à retirer le droit de vote à tous les citoyens extracommunautaires sans précision de durée, celui du Parti de la réforme ne vise que les citoyens russes et biélorusses et serait une mesure temporaire. Non représenté au Riigikogu, le parti Eesti 200 a indiqué être favorable à une telle mesure. De son côté, le troisième membre de la coalition gouvernementale, les Sociaux-Démocrates, ont fait savoir qu’il s’agissait que d’annonces de campagne électorale. Aucune mesure concrète ne sera entérinée avant les élections de mars 2023 mais la question sera probablement un sujet évoqué lors des débats.
Le retrait de droit ne se limite pas à la question du droit de vote. Début novembre, le gouvernement a approuvé et transmis au Parlement des amendements à la loi sur les armes pour invalider les permis de détention d’arme des citoyens des pays qui ne sont membres de l’UE ou de l’OTAN. À la promulgation de la loi, les personnes détentrices d’armes conserveront leur droit pendant un an, et auront ensuite un an pour remettre leurs armes aux autorités de police. Le ministre de l’Intérieur Lauri Läänemets (Social-Démocrate) justifie la mesure en avançant la nécessité de renforcer la sécurité et l’ordre public en Estonie.
La question de monuments soviétique a encore été très actuelle en novembre. La « commission des monuments », formée en juin auprès du Secrétariat général du gouvernement (Riigi Kantselei), a indiqué avoir établi une liste de 322 monuments de l’époque soviétique à analyser. Pour 244 d’entre eux, la commission conseille leur retrait ou le remplacement des inscriptions par des textes neutres, désoviétisés. Les 78 monuments restants pourront rester à leur emplacement car leur lien avec le régime soviétique est mineur voire inexistant.
Parallèlement, ce débat autour de l’héritage soviétique a pris une nouvelle dimension. Le gouvernement a transmis le projet de loi au Parlement qui exige le retrait des monuments ciblés sous trois mois. S’il était adopté, le texte imposerait aux communes de supprimer dans un même délai les symboles soviétiques visibles sur le territoire, la liste des symboles concernés devant être établie par une commission gouvernementale. Si le déplacement ou le démantèlement des monuments a plus fait l’objet d’un consensus, faire la chasse aux étoiles à cinq branches, aux faucilles et aux marteaux présents sur les bâtiments construits à l’époque soviétique divise. Si la ministre de la Justice Lea Danilso-Järg (Isamaa) qu’il est nécessaire de retirer les symboles qui représentent explicitement ou soutiennent le régime soviétique, des voix, notamment celles du monde artistique, se sont élevées pour souligner qu’il s’agissait très souvent d’un patrimoine culturel impossible à éliminer aussi simplement.
En novembre, la classe politique a vécu pendant quelques semaines au rythme d’une affaire qui a conduit à la démission de Marko Mihkelson, le président de la commission des Affaires étrangères du Riigikogu. Le quotidien Postimees a choisi de divulguer que M. Mihkelson pouvait potentiellement être la cible de chantage car celui-ci avait effectué des photos sur lesquels les enfants de sa femme actuelle apparaissaient nus. Jusque-là aucun organe de presse n’avait, après leurs enquêtes, accepté d’évoquer cette affaire pour protéger les enfants impliqués, les autorités policières et judiciaires n’ayant rien de trouver de répréhensible de leur côté. Après la divulgation de l’affaire, certains opposants de Marko Mihkelson ont choisi de l’attaquer. Ainsi, Martin Helme, vice-président EKRE du Riigikogu a décidé de ne plus soutenir les déplacements à l’étranger de M. Mihkelson (les déplacements de député doivent être validés par le bureau du Parlement). De plus, des députés EKRE ont décidé de lire des comptes rendus d’audience à huis clos de l’affaire (avec des détails sur les enfants concernés) en pleine séance du Riigikogu, ce qui a provoqué une indignation certaine. Cet épisode a été le cadre de vifs échanges entre la Première ministre Kaja Kallas et Jüri Ratas, le président du Riigikogu. La cheffe de l’exécutif a accusé ce dernier de ne pas présider correctement les séances parlementaires, l’appelant à se consacrer pleinement son travail plutôt que d’être à la télévision (Jüri Ratas a participé à la version estonienne de Danse avec les stars, où il a terminé à la deuxième place).
Dans un contexte de hausse du coût de l’énergie et d’inflation générale (sur un an, la hausse des prix est toujours supérieure à 20 %,), les conséquences sur l’économie estonienne commencent à se faire sentir. Les entreprises sont condamnées à trouver des solutions pour compenser ce surcoût. Si certaines n’ont d’autre choix que de mettre clé sous porte, celles qui n’ont pas à en arriver là doivent réduire leurs activités, et souvent leurs effectifs. La presse fait régulièrement part de licenciements dans l’industrie et le bâtiment, mais d’autres secteurs, y compris ceux de l’informatique et du logiciel, sont touchés.
Le 28 novembre, le président de la République Alar Karis a officialisé la tenue des prochaines élections législatives le 5 mars 2023. Progressivement, les partis politiques se lancent dans la campagne en annonçant leurs têtes de liste et autres candidats dans les douze circonscriptions électorales que compte l’Estonie. Selon les sondages d’opinion, le Parti de la réforme est crédité d’environ 32 % d’opinion favorable devant EKRE (extrême-droite) avec 23 % et le Parti du centre (16 %). Derrière ce trio suivent Eesti 200 (un peu plus de 10 %), Isamaa et les Sociaux-Démocrates autour de 7 %. Le scrutin de 2023 devrait donc être avant un duel entre la formation de la Première ministre Kaja Kallas et le parti dirigé par Martin Helme. Longtemps adversaire numéro un du Parti de la réforme, le Parti du centre semble devenir un parti de second plan.
Depuis juin, le service estonien des statistiques publie régulièrement les résultats du recensement réalisé fin 2021. En novembre, les résultats concernant les croyances religieuses qui ont ainsi été rendus publics. Selon les données collectées, 29 % de la population d’Estonie se déclarent croyants, un niveau stable depuis trois recensements. De son côté, la part des personnes non-croyantes a augmenté de 54 % à 58 % (les 13 % restants ne se sont pas prononcés). Le christianisme orthodoxe et le luthéranisme demeurent les principales religions présentes en Estonie. 16 % de la population se déclarent orthodoxes (un résultat stable) et 8 % luthériens (en baisse de deux points par rapport à 2011). À noter aussi que les femmes sont plus croyantes que les hommes (32 % contre 25 %), les personnes âgées (65 ans et plus) plus que les jeunes (15-29 ans) (43 % contre 14 %). Enfin, les non-Estoniens (dans un sens ethnoculturel), les Russes avec 54 % par exemple, sont plus croyants que les Estoniens (17 %).
De même, les résultats concernant les compétences linguistiques de la population d’Estonie sont désormais disponibles. Les deux langues maternelles principales sont l’estonien (67,2 % de la population âgée de plus de trois ans) et le russe (28,5 %). Toutes les autres langues (soit 241 !) sont parlées par moins d’1 % de la population ; l’ukrainien seule autre parlée par plus de 5000 personnes représente 0,93 %. Le français est la huitième langue maternelle d’Estonie avec 1424 locuteurs natifs ! Pour la première fois, les personnes recensées pouvaient indiquer deux langues maternelles, une option utilisée par 2 % des personnes. La combinaison la plus fréquente est estonien-russe (pour 60 % de celles-ci). De plus, le recensement a permis de donner un nouvel aperçu de la maîtrise des langues régionales. En 2021, 17 % de la population déclarent maîtriser un dialecte ou une langue régionale, soit deux points de plus (20 000 personnes) qu’en 2011, ce qui témoigne, selon les analystes, d’une prise de conscience des locuteurs de leurs compétences. C’est dans les régions de Võrumaa et de Põlvamaa que la maîtrise d’un dialecte est la plus présente (respectivement 74 % et 60 %). Enfin, 76 % des habitants d’Estonie maîtrisent au moins une langue étrangère. Fait notable, pour la première fois, la langue la plus maîtrisée est l’anglais (47 % de la population, +7 points en 10 ans), et non plus le russe (38 %, -6), la troisième langue étant l’estonien (17 %, +3). Le français est la sixième langue étrangère parlée (18 500 personnes, 1,4 %) derrière les trois langues déjà mentionnées et le finnois et l’allemand.
Après avoir été Capitale européenne de la Culture en 2011 et capitale verte européenne en 2023, Tallinn a été désignée Capitale européenne du sport 2025 par ACES Europe. Ce titre, décerné à une ville européenne de plus de 500 000 habitants par an, s’ajoute à la liste des distinctions récentes reçues par des communes estoniennes. Kuressaare (2020), Elva (2021) et Rakvere (2022) ont figuré parmi les villes sportives européennes de moins de 25 000 habitants.
Nouvelle anecdotique pour terminer. Selon la loi estonienne, certains noms de famille, portés par plus de 500 personnes dans le pays, ne peuvent être choisis par les personnes qui souhaitent changer de patronyme (hors changement lié à un mariage/divorce). Lors de la dernière mise à jour de la liste, qui compte 225 noms, cinq noms de famille y ont été ajoutés et deux en ont été retirés. Ainsi, il n’est plus possible d’opter pour les noms Kovalenko, Erm et Tuisk (« tempête de neige »). En revanche, Jõesaar (« île fluviale ») et Ploom (« prune ») sont de nouveau disponibles ! À noter que la loi inclut une exception pour les personnes dont un ascendant portait un nom présent sur la liste.
Photo : Sander Ilvest / Postimees