En septembre, la guerre en Ukraine a été à l’origine de nombreuses actualités et de débats sociétaux en Estonie.
Saga qui a connu son épilogue principal au mois d’août, le déplacement d’un char-monument de l’époque soviétique du bord de la route qui longe la rivière Narva vers un musée militaire a entraîné des répercussions dans les semaines suivantes. Certains n’acceptent pas la décision du gouvernement. Si le conseil municipal de Narva a rejeté la proposition des élus de l’opposition de suivre cette voie, un collectif d’habitants de la ville-frontière a décidé poursuivre le gouvernement en justice estimant la mesure illégale. De son côté, le député et figure locale de Narva Mihhail Stalnuhhin, poids-lourd du Parti du centre, a exprimé son mécontentement dans une vidéo où il a qualifié les membres du gouvernement de fascistes. Face au tollé provoqué, le Parti du centre n’a eu d’autre solution que de prononcer l’exclusion de Stalnuhhin du parti, se privant ainsi d’une personnalité pour les élections législatives du printemps 2023 dans l’est du pays.
Outre le monument de Narva, d’autres monuments ont fait l’objet de mesures drastiques. À Tartu, le monument de Raadi dédié aux morts de la Seconde Guerre mondiale a été démantelé et les dépouilles inhumées à cet endroit ont été exhumées pour être transférer dans un cimetière. Si les autorités soviétiques évoquaient en leur temps plus d’un millier de victimes enterrées, ce sont finalement les ossements de 250 personnes qui ont pu être dégagés. Désormais, en lieu et place du monument s’étend une vaste étendue d’herbe. Plus largement, l’État a ordonné le retrait de huit monuments soviétiques situés sur des terrains qu’il possède.
Le conflit en Ukraine continue aussi d’avoir un impact sur la société estonienne en général. Certains processus qui n’aboutissaient semblent désormais pouvoir être accomplis. À Narva, encore une fois, la municipalité a fait avancer le dossier du changement de nom de certaines rues. Depuis des années, différentes personnalités, dont la présidente Kersti Kaljulaid lors de ses années de mandat ou plus récemment la ministre de l’Administration publique Riina Solman (Isamaa), appellent les élus locaux à éliminer les noms bolcheviques et soviétiques encore visibles. Cela va être chose faite dans les semaines à venir. Par exemple, la rue du Prolétariat va devenir la rue du Stade et la rue Mihhail Gorbatš (un soldat de l’armée Rouge) va être rebaptisée rue du Cèdre.
De plus, le débat s’est aussi porté sur la question du droit de vote des non-citoyens aux élections locales. Actuellement, la législation estonienne permet aux résidents permanents citoyens de pays extracommunautaire d’élire les élus locaux. Alors que des mesures plus globales sont prises pour pénaliser les citoyens russes (voir ci-après), certaines formations politiques ont émis l’idée de supprimer le droit de vote aux citoyens de Russie. Un projet de loi a été déposé au Riigikogu par le groupe Isamaa (droite). Toutefois, l’absence de consensus au sein de la coalition gouvernementale a fait échouer le projet. De son côté, la Chancelière du droit Ülle Madise avait entre-temps estimé que le retrait du droit de vote à certains résidents permanents pouvait être contraire à la Constitution.
Enfin, l’enseignement des langues dans le pays a été abordé. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la place du russe dans le système scolaire estonien a été questionnée. Faut-il continuer d’enseigner le russe aux Estoniens et est-ce légitime que le russe soit la seule autre langue étrangère enseignée aux côtés de l’anglais ? Parallèlement, la volonté d’implanter l’estonien plus profondément est réaffirmé. Le ministère de l’Éducation a ainsi annoncé que tout enseignant qui enseignerait en estonien dans la région du Viru oriental (très russophone) recevrait un salaire brut de 3000 euros.
Avant le lancement de la mobilisation en Russie, et l’apparition de longues files d’attente aux frontières, les autorités estoniennes ont décidé, en accord avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne d’interdire l’accès à leur territoire aux citoyens russes détenteurs d’un visa touristique à partir du 19 septembre – les citoyens russes avec un visa Schengen émis par l’Estonie ne pouvaient déjà plus accéder au pays depuis mi-août. Comme aucun accord n’avait pu être trouvé à l’échelle européenne, les pays frontaliers ont décidé d’aller de l’avant et sanctionner eux-mêmes les citoyens russes (hors visites d’un membre de sa famille et raisons humanitaires).
Avec la rentrée des classes fin août, la question de la scolarisation des enfants ukrainiens a de nouveau été un sujet de discussion. De nombreux jeunes réfugiés ne sont pas scolarisés dans des établissements estoniens ; ce qui ne signifie pas pour autant l’absence de scolarisation, certains suivant des cours en ligne donnés depuis l’Ukraine. La situation pourrait changer puisque les autorités ukrainiennes ont annoncé reconnaître les programmes d’enseignement estonien (ainsi que letton, lituanien, polonais et tchèque). De leur côté, 23 infirmières ukrainiennes ont commencé un programme d’études à l’École supérieure de Santé de Tallinn afin d’obtenir la qualification requise pour exercer en Estonie, à commencer par l’apprentissage de l’estonien.
Parallèlement aux questions liées au conflit en Ukraine, l’économie, l’énergie et le niveau de vie des Estoniens ont été les autres sujets principaux de débat du mois de septembre.
Dans le contexte inflationniste (+ 24 % entre septembre 2021 et septembre 2022, mais seulement +0,3 % entre août et septembre 2022 !), certaines professions réclament de fortes augmentations de salaire. Après avoir menacé de faire grève à la rentrée, les enseignants ont obtenu une revalorisation du salaire minimum de leur secteur de 1412 euros brut à 1749 euros (+ 23 %), ce qui permettra au salaire moyen de dépasser 2000 euros. Dans le projet de budget pour 2023, la coalition gouvernementale a également inscrit une augmentation de 17 % pour les policiers (1849 euros brut minimum) et de 36 % pour les pompiers (1620 euros brut minimum). Si le budget pour 2023 sera encore déficitaire et que la dette publique augmentera (ce qui est inhabituel en Estonie), les mesures salariales prises n’imposent pas au gouvernement d’augmenter les recettes, le contexte inflationniste augmentant mécaniquement les rentrées fiscales de l’État.
Le gouvernement a également annoncé des mesures pour faire face au prix élevé de l’électricité. Du 1er octobre au 31 mars, l’État compensera la facture des consommateurs au-delà d’un prix moyen mensuel de 80 €/MWh (dans la limite de 50 € par MWh). De même, un service de fourniture d’électricité universel a été créé en parallèle des abonnements indexés sur les prix de la bourse Nord Pool proposés par les fournisseurs d’électricité. Les consommateurs ont désormais la possibilité de s’abonner pour quatre ans à un forfait dont le prix est fixé sur le coût de production et validé par le Service estonien de la concurrence. Le 30 septembre, un premier prix de 154,08 €/MWh (auquel s’ajoute les frais de distribution) a été annoncé. Ce prix pourra être revu à la hausse et à la baisse mais les services de l’État ont indiqué qu’aucune mesure ne serait prise si l’évolution du coût de production demeurait inférieure à 5 %.
En sport, l’Estonie a pour la première fois accueilli fin septembre un tournoi de tennis du circuit professionnel féminin, la WTA, avec en tête d’affiche les Estoniennes Anett Kontaveit, quatrième joueuse mondiale, et Kaia Kanepi. Le hasard du tirage au sort et les résultats de chacune leur ont permis de se rencontrer en demi-finale, une première puisque les deux joueuses ne s’étaient jamais rencontrées de leur carrière en match professionnel. C’est la cadette Kontaveit qui a remporté le match, se donnant l’opportunité de gagner le tournoi. Malheureusement pour la joueuse, et les supporters locaux, c’est la Tchèque Barbora Krejčíková qui a fini par soulever le trophée à la fin de la semaine.
Enfin, comme ailleurs dans le monde début septembre, le décès de la reine d’Angleterre Elizabeth II a été largement évoqué en Estonie. L’événement a été l’occasion de rappeler que la souveraine avait effectué une visite d’État en Estonie en octobre 2006 et que le nouveau roi Charles III avait séjourné à Tallinn et à Tartu en novembre 2001.
Photo : Joakim Klementi / ERR