À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’actualité du mois de mars en Estonie a été inévitablement dominée par le conflit sous toutes ses dimensions, notamment les opérations militaires en cours ont été largement commentées.
La guerre en Ukraine a entraîné une intensification des visites diplomatiques. Le 1er mars, l’Estonie a reçu la visite conjointe du Premier ministre britannique Boris Johnson et du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg. Le 7 mars, c’est la Première ministre finlandaise Sanna Marin qui a fait le déplacement à Tallinn, avant Antony Blinken, le Secrétaire d’État américain le lendemain. De leur côté, les leaders estoniens se sont rendus à l’étranger. Le président Alar Karis était en visite le 17 mars en Moldavie et en Roumanie et le maire de Tallinn Mihhail Kõlvart a effectué un déplacement à Lviv pour évoquer la question de l’accueil des réfugiés. Le 24 mars, c’est Jüri Ratas, le président du Riigokogu s’est déplacé en Ukraine, accompagné de deux députés estoniens, pour une réunion avec Denys Chmyhal, le Premier ministre ukrainien, et les présidents des deux autres parlements baltes et une intervention devant le Parlement ukrainien. De leur côté, les commissions des Affaires étrangères et de la Défense du Riigokogu ont reçu la visite d’Olivier Henno, président du groupe France-Pays baltes au Sénat français.
Le renforcement de la présence de l’OTAN en Estonie s’est concrétisé. Alors que les soldats français basés en Estonie dans le cadre de la Présence avancée renforcée (eFP) devaient passer le relais aux Danois pour ne revenir qu’en mars 2023, 200 nouveaux militaires français sont arrivés en parallèle des Scandinaves. De plus, 100 soldats et 4 avions ont été déployés sur la base d’Ämari dans le cadre de la Police du ciel (eAP). Plus globalement, la France a annoncé concentrer son effort en Estonie plutôt que d’être présente en alternance en Estonie et en Lituanie. En parallèle, l’Estonie a décidé de renforcer ses dispositifs de défense. Le gouvernement estonien a validé un paquet de mesures d’un montant de 565 millions d’euros pour renforcer la défense militaire du pays et la protection de sa population. (À noter que l’Estonie a déjà soutenu l’effort de guerre ukrainien à hauteur de 220 millions d’euros.)
Avec la guerre en Ukraine, nombre d’Estoniens ont décidé qu’il était temps d’agir et de rejoindre la Ligue de défense (Kaitseliit), organisation paramilitaire composée de volontaires, ou Naiskodukaitse, l’organisation féminine de soutien à la Ligue de défense. Fin mars, peu moins de 1500 personnes avaient déposé une demande pour adhérer à la Ligue de défense, déjà forte de 16 000 membres (auxquelles s’ajoutent les 10 000 membres de Naiskodukaitse et des deux organisations de jeunes).
Le déclenchement du conflit en Ukraine a eu un impact important sur les relations russo-estoniennes dans de nombreux domaines. Trois diplomates de l’ambassade de Russie à Tallinn ont été déclarés persona non grata dans le pays, notamment en raison d’activités de communication justifiant la guerre. Le groupe parlementaire Estonie-Russie a été dissout. La ville de Tartu a, elle, mis fin à sa coopération avec la ville russe de Pskov et le district de Vassileostrovski à Saint-Pétersbourg. De son côté, l’équipe de basket BC Kalev/Cramo engagée en Ligue VTB (qui regroupe principalement des clubs russes) a annoncé quitter cette compétition (tout comme le club polonais de Zeliona Góra) et chercher une nouvelle compétition internationale sur la scène européenne pour la saison prochaine.
D’autres initiatives symboliques ont été lancées en soutien de l’Ukraine. Comme Riga et Vilnius l’ont déjà fait, Tallinn cherche un lieu à rebaptiser pour honorer l’Ukraine. Toutefois, contrairement aux deux autres capitales baltes qui ont rebaptisé le nom de la rue où se trouve l’ambassade de Russie, une telle proposition n’a pas à l’ordre du jour en Estonie. À Tartu, c’est le nom du pont de la Victoire (Võidu sild) qui est visé. Ce pont qui enjambe l’Emajõgi en centre-ville a été baptisé ainsi en 1965 pour commémorer les vingt ans de la victoire de l’URSS lors de la Seconde Guerre mondiale. Selon Tõnis Lukas, président du conseil municipal de la ville (Isamaa), il est temps de modifier ce nom sans lien avec une quelconque victoire estonienne.
Si certaines mesures ont été acceptées, d’autres ont pu provoquer un tollé. Ainsi, la décision de l’université de Tartu de ne pas accepter de nouveaux étudiants citoyens de Russie et de Biélorussie pour l’année 2022-2023, exception faite des résidents permanents et des personnes également citoyennes d’un pays de l’UE, a été largement critiquée. Une décision similaire a ensuite été prise par l’université technique de Tallinn. De son côté, si le recteur de l’université de Tallinn a refusé l’idée, le sénat de l’institution a pris une décision contraire en faveur de l’interdiction.
Sur la scène politique estonienne, la guerre n’est pas non plus sans effet. La première « victime » politique semble être le Parti du centre qui paie ses hésitations des premiers jours du conflit lorsque certains députés s’étaient abstenus de soutenir une déclaration du Parlement. Depuis, la formation politique tente d’améliorer son image en écartant les voix qui expriment quelque soutien à la politique de Vladimir Poutine. Le déclenchement de la guerre a poussé le Parti du centre à mettre officiellement fin au protocole de coopération signé en 2005 avec le parti russe Russie unie. Il s’agissait là d’un pas que le parti avait toujours refusé faire malgré les demandes insistantes des autres partis estoniens, arguant que ledit protocole était inopérant et qu’il n’était donc pas nécessaire de le résilier.
Fin mars, les regards étaient aussi déjà tournés vers la date du 9 mai. Ce jour-là, les Russes célèbrent leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale et divers rassemblements ont traditionnellement lieu. Les monuments aux morts, dont le célèbre Soldat de bronze dont le déplacement a été à l’origine d’émeutes en avril 2007 à Tallinn, sont recouverts d’œillets rouges et les personnes arborent des symboles nationalistes russes comme le ruban de Saint-Georges. De même, un défilé du « régiment immortel » au cours duquel les participants portent les portraits des soldats tombés au combat est organisé depuis 2015. À un mois des célébrations, de nombreuses voix, notamment les groupes d’élus du conseil municipal de Tallinn, se sont interrogées sur le bien-fondé de telles manifestations et sur la nécessité d’interdire les symboles liés au nationalisme russe. Le 29 mars, l’organisation du défilé a finalement annoncé renoncer à l’événement.
Depuis le début du conflit, l’Estonie a accueilli environ 25 000 réfugiés ukrainiens. Dans un premier temps, les réfugiés ont été logés dans des hôtels du pays. Toutefois, le gouvernement estonien a fixé à un mois la durée du logement aux frais de l’État. Rapidement donc, les Ukrainiens arrivés ont dû chercher des alternatives, non sans difficultés tant le marché locatif connaissait déjà une pression certaine. L’arrivée massive de demandeurs ont entraîné une hausse rapide des loyers, ce qui pourrait avoir un impact plus global pour la société estonienne.
L’accueil des réfugiés pose la question de la scolarisation des nombreux enfants ukrainiens. Le problème est d’autant plus sensible qu’il y a en Estonie un système scolaire double avec des écoles dont la langue d’enseignement est l’estonien et des écoles dont la langue est le russe (et des écoles bilingues). Où faut-il alors inscrire les jeunes ukrainiens : dans les écoles « estoniennes », ce qui permettrait une meilleure intégration, ou dans les écoles russophones, où l’apprentissage serait facilité par les aptitudes linguistiques des enfants, mais où il pourrait exister un risque de conflit avec les autres élèves russophones ? Aucune décision politique n’a encore été prise. À Tallinn, le nombre de nouveaux élèves est si important qu’une école spéciale va être ouverte pour les Ukrainiens.
La mobilisation des Estoniens ne faiblit. De nombreux bénévoles continuent d’agir pour soutenir les Ukrainiens en Ukraine et en Estonie. De même, la générosité est massive. Outre les multiples campagnes d’envergure diverse, un concert caritatif a été organisé le 16 mars a permis de récolter près de 800 000 euros (en date du 26 mars). Parmi les initiatives mises en place pour accueillir les Ukrainiens, le quotidien Postimees a lancé une version ukrainienne de son site aux côtés des versions en estonien, en russe et en anglais. De son côté, l’université de Tartu a ouvert des cours d’ukrainien.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19 est passée au second plan de l’actualité mais elle demeure un sujet important en Estonie. Mars a été marqué par une nette amélioration de la situation avec un taux d’incidence (de 5170 cas sur 14 jours au 1er mars à 1289 au 31 mars) et un nombre de patients hospitalisés (supérieur à 600 début mars, il était inférieur à 300 à la fin du mois) en forte baisse. L’Estonie a toutefois déploré le décès de plus de 200 personnes au cours du mois, dont 19 lors de la seule journée du 18 mars. Évoquée au cours des semaines précédentes, la fin du passe vaccinal a été décrétée pour le 15 mars. Fin mars, c’est le port obligatoire du masque qui a été au cœur du débat (il sera finalement levé à partir du 3 avril, devenant « recommandé »).
En mars, l’Estonie a pu une nouvelle fois célébrée la naissance d’une licorne, ces entreprises valorisées à plus d’un milliard d’euros avec Glia, un fournisseur de service client numérique. Entreprise née à New York, Glia possède deux centres en Estonie, à Tallinn et à Tartu, ville où l’un des fondateurs a fait une partie de ses études.
Pays proches notamment pour des raisons linguistiques, Estonie et Finlande cherchent à multiplier les ponts entre les rives du golfe de Finlande. Récemment, les deux capitales, Helsinki et Tallinn, et la ville de Tartu (connectée à Helsinki par une ligne aérienne) ont annoncé d’une intégration progressive de leurs systèmes de billetterie pour les transports publics. Les usagers pourront progressivement utiliser les applications et autres cartes qu’ils utilisent dans leur ville pour se déplacer dans les autres (chose qui existe déjà à l’échelle de l’Estonie).
En sport, l’Estonienne Daisy Kudre-Schnyder, doublement titrée lors des championnats du monde de ski d’orientation organisés à Kääriku (Estonie) en 2021, a su conserver ses deux titres (épreuve courte et sprint) lors des mondiaux de Kemi en Finlande. Si elle n’a pas obtenu de nouvelle médaille lors de la poursuite (après l’argent en 2021), elle et son coéquipier Mattis Jaama ont de nouveau gagné la médaille de bronze en relais mixte sprint.
En athlétisme, deux sportifs estoniens se sont distingués aux championnats du monde en salle qui se sont déroulés en Serbie. Hans-Christian Hausenberg et Karl Erik Nazarov ont chacun terminé quatrième de leur épreuve, l’heptathlon pour le premier, le 60 m pour le second.
Pour la première fois, l’Estonie a accueilli une étape de la coupe du monde de biathlon du 10 au 13 mars sur les pistes d’Otepää. Les meilleurs biathlètes de monde reviendront en Estonie au printemps 2026. Enfin, la commune d’Elva (région de Tartumaa) a été titrée Ville sportive européenne 2021. En 2022, une autre ville estonienne, Rakvere, figure parmi les participants.
De son côté, le magasin de livres de la chaîne Rahva Raamat situé dans le centre Viru à Tallinn a été désigné Magasin de livres de l’année lors de la foire du livre de Londres.
Photo : Ken Mürk / ERR