Comme depuis le mois de février, la guerre en Ukraine et ses conséquences ont été encore dominantes dans l’actualité en Estonie. Le 18 octobre, le Riigikogu a adopté une déclaration dans laquelle il condamne l’annexion de parties du territoire ukrainien et il qualifie le régime en place en Russie de régime terroriste.
Le 25 septembre 2022, le patriarche de Moscou et de toutes les Russies Cyrille a appelé ses fidèles à aller combattre en Ukraine, déclarant que la mort au combat équivaudrait à un sacrifice et donc que les péchés de la personne en seraient lavés. Pour les autorités estoniennes, cet appel constitue un soutien inacceptable à la guerre en Ukraine. Dans les jours à venir, le ministère de l’Intérieur s’est intéressé de près à la position du métropolite Eugène, primat de l’Église orthodoxe d’Estonie, rattachée canoniquement au Patriarcat de Moscou en convoquant les autorités religieuses. Face au silence initial du métropolite Eugène, le ministre de l’Intérieur Lauri Läänemets a lancé un ultimatum : en l’absence de déclaration officielle rejetant les propos du patriarche de Moscou au 12 octobre, les autorités estoniennes prendraient des mesures, avec éventuellement une annulation du permis de résidence du métropolite. Finalement, Eugène a publié un texte le 12 octobre dans lequel il déclare ne pas adhérer à l’appel du chef de l’Église orthodoxe russe. Si le ministre s’est dit satisfait, certains, comme Priit Rõhtmets, professeur spécialiste de la religion, ont estimé qu’Eugène n’avait dit que ce qu’on attendait qu’il dise.
À l’approche de l’hiver, les Estoniens ont une nouvelle fois fait preuve de leur soutien à l’Ukraine. L’association Slava Ukraini a décidé de lancer un appel aux dons afin de fournir un équipement adéquat aux soldats ukrainiens qui vont bientôt devoir affronter des températures basses. Dans un premier temps, les organisateurs avaient fixé un objectif de 400 000 euros récoltés, ce qui aurait permis la commande de 1000 tenues complètes. L’afflux des dons a été tel que l’objectif a été atteint au bout d’une journée, poussant les organisateurs à doubler la somme à récolter. Là encore, l’objectif a été atteint très rapidement et la collecte de dons a été interrompue en raison des limitations matérielles en Ukraine où les uniformes seront produits.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Estonie, comme la plupart des États européens, fait tous les efforts nécessaires pour garantir son approvisionnement en gaz après avoir décidé l’arrêt des importations de gaz russe. Parmi les solutions, l’aménagement des structures nécessaires à l’accueil d’un terminal méthanier flottant. Face aux coûts impliqués, l’Estonie et la Finlande se sont rapprochées au printemps pour faire progresser le projet. Selon un mémorandum signé, le pays qui construirait en premier les structures d’accueil accueillerait le terminal flottant au cours de l’hiver 2022-2023, avant qu’il ne soit stationné à Inkoo en Finlande. Toutefois en octobre, et malgré l’avance pris par les travaux en Estonie (le quai a été achevé près de Paldiski fin octobre), annonce a été faite que le terminal irait directement en Finlande. La nouvelle a provoqué de fortes réactions en Estonie. Les entreprises qui ont investi dans le projet se sont senties trahies. De leur côté, les partis politiques de l’opposition ont immédiatement accusé la ministre de l’Économie Riina Sikkut (Parti social-démocrate) d’avoir menti et ont déposé une mention de censure contre elle (sans succès). La ministre s’est défendue en soulignant que la décision d’ancrer le terminal à Inkoo était déjà prise lorsqu’elle a pris ses fonctions en juillet, renvoyant les accusations à son prédécesseur Taavi Aas (Parti du centre). Les autorités estoniennes espèrent avoir un accès privilégié aux réserves gazières (après accord des autorités européennes), mais cet espoir risque d’être vain car les autorités finlandaises ont annoncé que l’Estonie serait prioritaire si elle participait financièrement à la location du terminal !
Ville à la frontière orientale de l’Union européenne, Narva est à chaque contexte de crise impliquant la Russie une destination privilégiée des journalistes et des représentants politiques. En octobre, c’est la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen qui a profité de son déplacement en Estonie pour se rendre sur place, accompagnée de la Première ministre estonienne Kaja Kallas. Dans le cadre de son déplacement, les deux femmes ont lancé officiellement le déploiement des aides du Fonds pour une transition juste, outil destiné à aider les régions européennes atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. La région du Virumaa oriental, où l’activité minière liée aux schistes bitumineux, recevra 354 millions d’euros. Enfin, la visite contenait une dimension personnelle pour Ursula von der Leyen puisque son arrière-arrière-arrière-grand-père était l’industriel brêmois Ludvig Knoop, le fondateur de l’usine Kreenholm (1857), fleuron de l’industrie textile, située sur une île du fleuve Narva, au sud de la ville éponyme.
Alors que les élections législatives de mars 2023 se profilent, les formations politiques estoniennes se mettent en ordre de bataille pour le scrutin. Le parti Eesti 200, sans députés actuellement après avoir échoué à obtenir des élus en 2019 pour ses premières élections, a tenu son congrès pour élire son dirigeant. La présidente en place, Kristina Kallas, se présentait avec face à elles deux candidats, l’ancien journaliste Lauri Hussar et le président de la section Jeunes du parti Hendrik Johannes Terras. Ce dernier a finalement retiré sa candidature juste avant le scrutin et s’est rangé derrière Hussar, qui est sorti vainqueur. Le nouveau leader a promis une campagne électorale plus agressive pour obtenir des élus au printemps.
Alors que le mandat de Juhan Parts, l’actuel représentant estonien à la Cour des comptes européennes s’achève en 2023, le nom de son successeur anime la classe politique estonienne depuis de nombreuses semaines. Très vite, c’est la ministre des Finances Keit Pentus-Rosimannus (Parti de la réforme) qui est pressentie pour rejoindre le Luxembourg. Ce choix plaît moyennement au parti Isamaa, partenaire du Parti de la réforme dans la coalition gouvernementale, qui aurait aimé « conserver » le poste ; en effet, Juhan Parts est membre d’Isamaa et Kersti Kaljulaid, qui a occupé le poste entre 2004 et 2016 était membre d’Isamaa jusqu’en 2004. Le choix de Keit Pentus-Rosimannus fait aussi grincer des dents car la procédure de sélection est menée par le ministère des Finances. Les opposants politiques du Parti de la réforme, principalement Mart Helme (EKRE), le président de la Commission parlementaire spéciale en charge de la lutte contre la corruption, y voient un conflit d’intérêt. Par deux fois, le député d’extrême-droite a demandé, sans succès, aux services judiciaires d’ouvrir une enquête sur la procédure. Le nom de l’ex-ministre (Pentus-Rosimannus a démissionné courant octobre en vue de son audition par le Parlement européen en novembre) fait d’autant plus parler qu’il reste entaché par une affaire de banqueroute impliquant une entreprise du père de la ministre au début des années 2010.
En économie, l’inflation continue d’inquiéter les Estoniens. En octobre, la hausse des prix a atteint 22,4 % sur un an, soit une hausse inférieure à celle des mois précédents. Entre septembre et octobre, les prix ont même baissé d’un pourcent. Malgré cela, le niveau des prix sera un des sujets de la campagne électorale qui débute. Le parti d’extrême-droite EKRE a à ce propos organisé une manifestation le 16 octobre pour réclamer une baisse du coût de l’énergie.
Si les monuments soviétiques sont progressivement démantelés en Estonie, un nouveau monument a été, lui, inauguré place du Nouveau-Marché, à proximité de l’Opéra Estonia à Tallinn : une sculpture commémorant l’homme politique de l’Entre-deux guerres Konstantin Päts. Jusqu’à l’inauguration, un intense débat a lieu tant sur l’œuvre choisie et que l’érection d’une œuvre à la mémoire de Päts au centre de la capitale. Taillée dans un bloc de granit et faisant près de trois mètres avec son socle, l’œuvre de Toivo Tammik et Vergo Vernik intitulée Riigipea (Chef d’État) représente la seule tête de l’homme politique. Choisie lors d’un concours en 2020, l’œuvre a rapidement été tournée en dérision, avec de nombreux détournements sur les réseaux sociaux. Au-delà du débat artistique, l’inauguration du monument à la mémoire de Konstantin Päts (le troisième en Estonie) a opposé ceux qui voient en Päts l’un des fondateurs de la République d’Estonie et ceux qui mettent surtout en avant le coup d’État de 1934 et l’« ère du silence » qui a suivi, jusqu’au début de l’occupation soviétique en 1940.
En octobre, la diaspora estonienne a été à l’honneur. Le biologiste suédois Svante Pääbo, dont la mère était estonienne, a obtenu le Prix Nobel de médecine pour ses travaux en paléogénétique. De son côté, l’astronaute américaine Nicole Aunapu Mann, petite-fille d’un Estonien qui a émigré aux États-Unis dans les années 1930, s’est envolée à bord du vaisseau SpaceX pour participer à une mission dans la Station spatiale internationale.
Enfin, malgré sa non-qualification via les épreuves européennes, l’Estonie aura l’honneur de participer à la Grande Finale du concours mondial de la gastronome (Bocuse d’or) à Lyon en 2023. En effet, l’Estonie a reçu une invitation pour le grand événement.
Photo : Õhtuleht
On ne déformera pas la réalité en disant que Mme Keit Pentus-Rosimannus s’est “pressentie” elle-même dès la succession de Pärts ouverte.