Le mois de juin et la première semaine de juillet ont été avant tout marqués par les préparatifs et la tenue à Tallinn de la XXVIIe Fête du chant (Laulupidu) et de la XXe Fête de la danse (Tantsupidu) (4-7 juillet). Les deux fêtes organisées en 2019 marquaient deux anniversaires puisque la première fête du chant a eu lieu à Tartu il y a 150 ans, en 1869 et qu’une fête de la danse a été organisée pour la première fois il y a 80 ans, en 1939. Intitulé Minu arm (Mon amour), l’événement a regroupé plus de 32 400 chanteurs et musiciens sur l’Esplanade des chants à Tallinn pour deux concerts et un millier de danseurs pour trois représentations au stade Kalev.
Cette année encore, la Fête du chant et de la danse a attiré un public nombreux. À leur mise en vente, les 20 000 billets de chacune des trois représentations de danse ont rapidement trouvé preneur. De même, les organisateurs ont interrompu la vente des billets juste avant le début du second concert pour des raisons de sécurité (plus de 62 000 billets avaient été vendus). Alors qu’il est habituellement possible de s’en procurer sur place, la forte demande le matin du concert provoquée par une météo plus favorable que prévue a fait craindre des risques trop importants.
Les spectateurs ont pu entendre des classiques du chant choral estonien (Mu isamaa on minu arm, Tuljak, Ta lendab mesipuu poole…), mais aussi de chants spécialement composés ou arrangés pour l’occasion (Üksi pole keegi, Igaviku tuules…). Toutefois, le programme proposé s’est retrouvé au cœur d’une polémique car aucune des Cinq chansons patriotiques (Viis isamaalist laulu) d’Alo Mattiisen, symboles de la Révolution chantante, n’en faisait partie. Certains ont estimé que les chansons de Mattiisen ne pouvaient pas ne pas être chantées. Les organisateurs ont mis en avant que Mattiisen avait été chanté lors d’éditions précédentes et qu’il fallait savoir apporter de la nouveauté. Cette période historique a néanmoins été à l’honneur avec d’autres compositions de l’époque comme Ilus oled, isamaa! de Tõnis Mägi.
Les semaines précédant l’événement ont été rythmées par plusieurs moments. Suivant une tradition vieille de 50 ans, la flamme de la Fête du chant a été allumée début juin à Tartu. Elle a ensuite été transportée à Muhu d’où elle a entamé un parcours de 33 jours à travers les 15 régions d’Estonie. Elle est notamment revenue à Tartu, la célébration des 150 ans de la fête du chant dans son berceau (20-22 juin). Plusieurs petits concerts ont eu lieu dans toute la ville pour retracer l’histoire de ce patrimoine estonien avant un grand concert, qui a réuni 9000 choristes de la région.
Juin a été également l’occasion de célébrer deux drapeaux : le tricolore estonien dont on a fêté les 135 ans le 4 juin (le drapeau bleu-noir-blanc de la Société des Étudiants estoniens a été béni le 4 juin 1884 à Otepää) et le drapeau danois, le Dannebrog, qui, selon la légende, est apparu au roi danois Valdemar II lors du siège de Lindanise le 15 juin 1219. Pour l’événement et pour célébrer les relations entre l’Estonie et le Danemark, la reine Margrethe II s’est rendue à Tallinn à bord de son yacht royal, le Dannebrog.
Fin juin et début juillet, Helsinki (Finlande), Tartu et Tallinn ont accueilli tour à tour les journées mondiales de la culture estonienne ESTO. Cet événement est né en 1972 à Toronto à l’initiative des Estoniens de la diaspora et s’est d’abord surtout déroulé en Amérique du nord et en Australie. Il a fallu attendre 1996 pour que les journées ESTO soient été organisées en Europe pour la première fois (à Stockholm et à Tallinn, l’édition 1996 étant d’ailleurs l’unique édition à avoir été organisée en Estonie avant celle de 2019). Cette année, le programme culturel met l’accent sur la jeunesse.
Le mois de juin a également rimé avec mobilité et transports. Tout d’abord, la ville de Tartu a inauguré un système de vélos en libre-service, une première en Estonie. 750 vélos, dont 240 dotés d’une assistance électrique, sont désormais disponibles aux 69 stations aménagées dans la ville. Cette nouveauté a rencontré un succès inattendu dès les premières heures de mise en service, entraînant pannes et dysfonctionnement du système de gestion de l’utilisation des vélos. Toujours à Tartu, le 1er juillet, le réseau de bus urbain a connu un changement profond. Outre le changement d’opérateur, le réseau de lignes a été profondément repensé avec une réduction du nombre de lignes (pour permettre une meilleure fréquence) et l’intégralité du parc de bus circule désormais au gaz.
Du côté de Tallinn, ce sont les trottinettes électriques qui ont fait leur apparition dans les rues à l’initiative des entreprises Bolt (ex-Taxify) et Citybee. Néanmoins, c’est surtout la voiture qui a été au cœur de l’actualité dans la capitale. Sujet de débat récurrent, la voie urbaine Reidi tee en cours de construction (pour dédoubler l’avenue de Narva à proximité du littoral) a de nouveau opposé municipalité et défenseurs d’une politique moins favorable à la circulation automobile. Alors que l’équipe de Taavi Aas, maire jusqu’à mars avait signé un accord avec des groupes associatifs pour limiter le nombre de voies de circulation à deux dans chaque sens à hauteur du monument Russalka, l’exécutif local désormais conduit par Mihhail Kõlvart a choisi de revenir au projet initial et d’ajouter une voie par sens de circulation. Le cas de Reidi tee semble d’ailleurs être un exemple symbolique de la nouvelle politique menée par la ville et ce changement n’est pas sans effet puisque l’architecte en chef de la ville a annoncé sa démission.
Le maire de Tallinn a également été au cœur d’un petit bras de fer avec l’équipe du réalisateur Christopher Nolan, actuellement en tournage dans la capitale estonienne. Mihhail Kõlvart s’est opposé au souhait du réalisateur de fermer Laagna tee, l’artère principale du district de Lasnamäe, pendant un mois. De même, il a souhaité s’assurer que le film ne présentait pas Tallinn sous un angle négatif. La prise de position ferme de Kõlvart a étonné et a fait craindre aux professionnels du secteur que l’équipe hollywoodienne quitte simplement Tallinn.
Autre sujet de débat récurrent qui a été à l’Une de l’actualité en juin : les taxes sur les produits alcoolisés et le commerce transfrontalier Estonie-Finlande et Lettonie-Estonie. Le gouvernement Ratas I avait sensiblement augmenté les taxes dans le but de lutter contre l’alcoolisme en Estonie. Cette mesure a eu pour effet de réduire les achats d’alcool en Estonie, que les acheteurs soient Estoniens ou venus de Finlande, au profit de la Lettonie, où les magasins d’alcool se sont développés en masse, notamment dans la région de Valka. Afin de lutter contre cette situation, le ministre estonien des finances Martin Helme (EKRE) a annoncé une baisse des taxes de 25 % pour les bières, les cidres et les alcools forts, qui est entrée en vigueur le 1er juillet. Rapidement, les autorités lettonnes, soucieuses de défendre leur avantage, ont annoncé une baisse de 15 % des taxes sur les alcools forts, qui entrera en vigueur le 1er août.
Le secteur énergétique a lui été secoué par l’annonce d’Eesti Energia de la mise au chômage technique de 1300 personnes. Alors que l’Estonie jouit d’une certaine indépendance énergétique grâce à ces réserves de schistes bitumeux, dont la combustion permet de produire de l’électricité, principalement dans l’Ida-Virumaa, les évolutions sur le marché de l’électricité et la hausse du prix des quotas de CO2 émis rendent l’électricité estonienne de moins en moins compétitive. La plupart des unités de production des centrales de Narva sont à l’arrêt et le 30 juin, la production a été totalement interrompue pendant 8 h, car non rentable. L’Estonie se trouve face à un problème à plusieurs facettes. Comment passer de l’exploitation très polluantes des schistes bitumineux à une énergie plus verte tout en évitant une catastrophe économique et sociale dans l’Ida-Virumaa ? L’exploitation minière et les centrales électriques sont les principaux secteurs de travail d’une région. La question est d’autant plus sensible qu’elle touche principalement la population russophone.
Enfin, sur la scène internationale, l’Estonie a remporté une victoire diplomatique en étant élue pour la première fois membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU pour la période 2020-2021. Opposée à la Roumanie pour l’obtention du siège du groupe est-européen, l’Estonie a su convaincre les membres de l’institution en menant une campagne intense, même si un second tour a été requis car l’Estonie n’a pas obtenu le nombre de soutien nécessaire dès le premier. (L’Estonie a obtenu 111 voix contre 78 au premier tour, puis 132 voix contre 58 au second) Si Toomas Hendrik Ilves, son prédécesseur, a toujours émis des doutes quant à l’utilité pour l’Estonie de siéger au Conseil de Sécurité, la présidente Kersti Kaljulaid s’est pleinement investie dans le processus en effectuant de nombreux déplacements à l’étranger, notamment en Afrique.
Photo : Vincent Dautancourt