Du 5 au 15 octobre 2017, les électeurs d’Estonie étaient appelés à élire les conseils municipaux des 79 communes du pays. (Pour une partie des communes, ce scrutin entérinait la réforme territoriale, les élections se tenant sur la base des nouvelles frontières administratives). Le taux de participation a été modeste (53,3 %), soit cinq points de moins qu’il y a quatre ans. En revanche, le scrutin de 2017 a été marqué par un nouveau record de suffrages exprimés par Internet. Ce mode de vote a été choisi par 186 000 votants (+ 10 000 suffrages par rapport au record précédent établi lors des élections législatives de 2015). Enfin, il s’agissait du premier scrutin local auquel les personnes de 16 et 17 ans ont pu participer. Ce changement a mis en avant la question du rapport des jeunes à la vie politique.
La participation d’une partie des lycéens d’Estonie au scrutin a soulevé la problématique du rôle des enseignants et directeurs d’école. Plusieurs affaires de tentatives d’influence ont été révélées : des directeurs d’établissements par ailleurs candidats sont soupçonnés d’avoir utilisé leur poste professionnel pour faire campagne. Plus globalement, différentes affaires d’achat de voix ou de tentatives d’influence ont fait l’actualité.
Sur l’ensemble du pays, ce sont les candidats du Parti du Centre qui ont obtenu le plus de suffrages (27,3 %), devant ceux du Parti de la Réforme (19,5 %), du Parti social-démocrate (10,4 %), d’Isamaa ja Res Publica Liit (8 %) et du Parti populaire conservateur (6,7 %). Les listes sans étiquette représentent, elles, 26,8 % des voix exprimées et c’est souvent l’une d’entre elles qui est arrivée en tête dans de nombreuses communes. Parti du Centre et Parti de la Réforme confirment qu’ils sont les deux formations principales du paysage politique estonien. De son côté, IRL a réussi à endiguer son étiolement, notamment en obtenant des élus à Tallinn. Enfin, le scrutin de 2017 a été marqué par l’entrée du Parti populaire conservateur ou EKRE (extrême-droite) dans 39 conseils municipaux. Créé en 2012 sur les restes de l’Union populaire, ce parti, trop jeune lors du scrutin de 2013, trouve progressivement son ancrage en Estonie.
Commune la plus peuplée d’Estonie, Tallinn était une nouvelle fois omniprésente dans les médias avant le scrutin. Toutefois, celui-ci se distinguait par une configuration électorale nouvelle : il s’agissait des premières élections depuis la suspension par la justice du maire de la ville Edgar Savisaar et la perte de contrôle de ce dernier sur son parti, le Parti du Centre. Sans sa figure historique, le Parti du Centre avait pour objectif de conserver la majorité absolue au conseil municipal. De son côté, Edgar Savisaar a tenté de jouer les trouble-fête en conduisant sa propre liste en s’associant notamment à Urmas Sõõrumaa, homme d’affaires et président du comité olympique estonien. De leur côté, les autres partis avaient pour but de mettre fin au pouvoir incontesté du Parti du Centre. L’accent a été principalement mis sur la volonté d’en finir avec le système corrompu et clientéliste mis en place depuis de nombreuses années.
Si son nombre d’élus est désormais moindre, le Parti du Centre a réussi son pari en recueillant 44,4 % des voix, soit 40 des 79 sièges du conseil municipal. Il devance le Parti de la Réforme (20,5 %), le Parti social-démocrate (11 %), EKRE (7 %) et IRL (6,6 %). La liste d’Edgar Savisaar et Urmas Sõõrumaa a échoué à franchir les 5 % requis pour obtenir des élus via les mandats de liste (seul Edgar Savisaar étant élu via le système des mandats individuels). Le scrutin tallinnois a été marqué par le résultat de Mihhail Kõlvart (Parti du Centre) dans le district de Lasnamäe où il a recueilli plus de 24 000 voix. Ce score révèle que l’électorat russophone a préféré le Parti du Centre à son ancien leader Edgar Savisaar, qui, malgré son élection, n’a réuni que 3 300 voix, loin des 40 000 voix d’il y a quatre ans.
À Tartu, le Parti de la Réforme a augmenté son poids électoral et n’aura besoin que d’un partenaire pour diriger la ville contre deux jusqu’alors (Parti du Centre et Parti social-démocrate). À noter l’élection de Marju Lauristin, la députée européenne sociale-démocrate, qui devrait quitter son poste européen pour siéger au conseil municipal de la ville universitaire. À Pärnu et à Viljandi, le vainqueur des élections, respectivement le Parti de la Réforme et les Sociaux-Démocrates, siégera dans l’opposition, leurs adversaires s’étant mis d’accord pour constituer une coalition.
Outre son échec à Tallinn, Edgar Savisaar n’a pas réussi à contester l’ancrage du Parti du Centre dans les villes russophones de Narva, Sillamäe et Maardu, où des listes se présentaient en son nom. De manière globale, le Parti du Centre a remporté de larges victoires pour la simple raison que les adversaires étaient peu présents. À noter toutefois à Narva, le score important de Katri Raik, la tête de liste de la liste Notre Narva, dont le score est supérieur à celui de Mihhail Stalnuhhin, la tête de liste du Parti du Centre.
Les médias et autres observateurs ont enfin regardé avec intérêt les résultats dans les nouvelles communes où les équilibres se retrouvaient bouleversés. Sur l’île de Saaremaa, désormais la commune la plus vaste d’Estonie, les Sociaux-Démocrates, au pouvoir dans la « capitale » de l’île Kuressaare, sont arrivés en tête. Autre commune suivie pour ses caractéristiques ethnoculturelles particulier : le Setomaa. Deux listes s’opposaient avec un duel entre partisans et opposants d’un Setomaa uni. Les électeurs ont fait le choix des premiers. Enfin, les spécialistes ont regardé avec attention quels équilibres allaient naître dans les nouveaux conseils municipaux, notamment dans les communes composées d’un centre urbain et d’anciennes communes rurales (villes d’Haapsalu, de Pärnu, de Tartu dans leurs nouvelles limites territoriales). Il semblerait que les élus issus des anciennes communes rurales soient peu nombreux, ce qui soulève la question de l’attention qui sera portée à ces territoires.