Un pionnier de la photographie et du cinéma estoniens
Johannes Pääsuke (18 mars 1892 – 27 décembre 1917 selon l’ancien calendrier ; 30 mars 1892 – 8 janvier 1918 selon le nouveau calendrier) est né à Tartu, quatrième d’une famille de six enfants. Il avait ses racines familiales dans le « pays mulk », au centre de l’Estonie (région de Viljandi).Son père, Jaan, et sa mère, Ell, étaient tous deux originaires de familles d’ouvriers agricoles. Dans sa jeunesse, Jaan Pääsuke était colporteur ; plus tard il se fixa à Tartu où il vécut de petit commerce, tout en construisant de nombreuses maisons.
Selon ses propres déclarations, Johannes commença à prendre des photos dès 1907, soit à l’âge de quinze ans. Il semble qu’il entra en contact avec le Musée national estonien en 1912, époque à laquelle il avait déjà entrepris de photographier, de sa propre initiative, divers sites d’Estonie. On peut supposer que le photographe se présenta à l’occasion d’une annonce dans laquelle le musée invitait à collaborer des photographes amateurs (à qui, vu leur coût, on proposait le prêt d’appareils photographiques) ou des professionnels, afin de compléter ses collections de photographies d’Estonie.
À la même époque, Johannes Pääsuke était également très actif dans le domaine de la cinématographie. Ses séquences filmées du vol de Serge Utotchkine à Tartu en avril 1912 sont considérées comme l’acte de naissance de la cinématographie estonienne, et le film « Chasse à l’ours dans la province de Pärnu », réalisé en 1914, s’honore d’être le premier film de fiction estonien. Il réalisa au total plus de quarante films ou fragments de films, dont la plupart n’ont pas survécu : dix d’entre eux seulement sont aujourd’hui conservés par les Archives cinématographiques estoniennes. Comme il était courant à cette époque ailleurs dans le monde, Pääsuke travaillait souvent avec une caméra et un appareil photo simultanément, comme en témoignent les nombreux doublons dans ses films et ses photographies.
La campagne photographique entreprise par Johannes Pääsuke et son compagnon de voyage H. Volter fut l’un de ses principaux projets en collaboration avec le Musée national estonien. Elle débuta à Narva et le conduisit tout au long de la côte nord de l’Estonie, puis, au-delà, par Haapsalu et Lihula, jusqu’aux îles de Muhu et Saaremaa. Le voyage débuta le 10 juin 1913 et s’acheva le 29 juillet. Restent de cette campagne le journal de voyage de Pääsuke, les lettres et les cartes postales qu’il envoya en chemin au musée, et 317 photographies. Tout indique que le voyage fut assez pénible, mais les jeunes gens étaient endurants et avaient l’esprit d’aventure. Ils firent la plus grande partie du trajet à pied, transportant le matériel photographique et cinématographique et tout ce qui était nécessaire au voyage. « … puis nous avons endossé notre chargement, à savoir : la caméra, l’appareil photographique, la boîte de films avec douze douzaines de plaques, et le sac de voyage… » De temps à autre, les négatifs exposés étaient expédiés à Tartu par la poste, tandis que le musée envoyait de nouvelles plaques de verre dans des bureaux de poste convenus à l’avance. Par dessus le marché, il fallait encore collecter toutes sortes d’objets anciens, et Johannes n’omettait jamais dans ses lettres de donner des indications à l’intention des collecteurs qui viendraient après lui.
De retour de leur difficile expédition, les voyageurs purent se sentir fiers du résultat ; du côté du musée également, la satisfaction était complète. Le 2 août, tous les journaux estoniens reçurent un avis ainsi conçu : « Au mois de juin, le musée a mis en route le photographe Joh. Pääsuke, avec pour mission de photographier paysages remarquables, travaux populaires, constructions, objets intéressants d’un point de vue ethnographique, individus, etc. Le photographe et son compagnon de voyage ont parcouru consciencieusement la presque totalité de la côte de la province de Tallinn, et rapporté de tous ces endroits des vues intéressantes. Il y a également nombre de photographies de Muhu et de Saaremaa. L’ensemble dépasse les trois cents clichés. Une telle collection est déjà, en soi, un ensemble d’une grande valeur. » Les clichés rapportés du voyage firent l’objet de l’exposition « Vues d’Estonie », que le musée inaugura le 16 août.
Après cette expédition, le musée national employa encore le photographe à d’autres travaux. En plus des prises de vue, du développement, de la retouche des photographies et de la collecte d’objets anciens et de cartes postales, Pääsuke a en effet développé et dupliqué les négatifs réalisés par d’autres photographes employés par le musée, mais aussi photographié des objets appartenant aux collections du musée et réalisé des cartes postales.
Sa dernière entreprise d’envergure fut une campagne de photographies de la ville de Tartu, entre le 20 avril et le 18 juillet 1914. Ces 446 photos donnent une idée très détaillée des plus anciennes constructions de la ville, en particulier des habitations du centre-ville et des quartiers de Karlova, Tähtvere et Supilinn. Parmi les clichés, on trouve des vues générales des rues, des habitations, des bâtiments publics, des séries passionnantes sur les cours des quartiers pauvres et les bâtiments secondaires, mais aussi des détails de constructions (portes, serrures), des intérieurs (entre autres escaliers et poëles) et des portraits. L’ensemble se conclut sur des vues du cimetière Sainte-Marie et de la mobilisation de la Première Guerre mondiale. Au mois d’octobre de la même année fut organisée une exposition des clichés sur le vieux Tartu.
Le photographe fut mobilisé le 8 septembre 1915 comme soldat de seconde classe et affecté à un bataillon de réserve du régiment des Gardes de Lituanie. Pääsuke poursuivit à la guerre son activité de photographe et cinéaste. Avant de prendre son service, il s’adressa à l’Autrichien Carl Oswald Bulla, photographe de la cour du tsar Nicolas II, exprimant le souhait de pouvoir continuer son travail au sein de l’armée. La supplique adressée à un familier de l’empereur fut-elle efficace ? Toujours est-il qu’il devint effectivement chroniqueur photographe et cinéaste de l’armée. Dès le 30 septembre 1915, il inscrivait dans son journal : « J’ai reçu l’appareil. »
À la fin de l’année 1917, juste avant le retour de Pääsuke au pays, un accident de chemin de fer se produisit en gare d’Orsha (Biélorussie). Johannes Pääsuke périt au cours de cet accident, le 27 décembre 1917 à sept heures du matin, âgé de vingt-cinq ans et neuf mois. Comme leur fils avait exprimé le souhait de reposer dans la terre de la patrie, ses parents organisèrent le transfert de ses restes à Tartu. Les obsèques de Johannes Pääsuke eurent lieu à la paroisse Saint-Paul ; il fut enterré le 7 janvier 1918 au cimetière Sainte-Marie.