Le film d’animation estonien, à qui l’on doit quelques succès internationaux, est sans doute mieux connu que le cinéma estonien. Il n’est donc pas étonnant de retrouver deux courts métrages estoniens en sélection, ainsi que deux films de fin d’étude, au Festival International du film d’animation d’Annecy qui s’ouvre dimanche 11 juin. Ces deux courts métrages, dont les auteurs appartiennent à deux générations différentes, ont en commun un ton surréaliste et une grande qualité technique, qui montrent que le dessin animé estonien a encore un bel avenir.
Koerkorter
Koerkorter (2022, ‘l’appartement-chien’), de Priit Tender, est sans doute celui qui a le plus fait parler de lui ces derniers temps. Après avoir remporté plusieurs succès européens, notamment à Tampere, où il a reçu le prix du meilleur film d’animation, puis à Lisbonne ou en Allemagne, ce court métrage de 15mn est à présent projeté à Annecy en compétition officielle. Le producteur, Nukufilm, est l’une des références du cinéma d’animation européen, et également l’un des principaux studios estoniens.
Le scénario repose sur le poème Logline d’Andres Ehin, poète surréaliste estonien de la fin du XXe siècle. Un ancien danseur de ballet affronte la solitude et l’alcoolisme dans un logement miteux de l’âge soviétique. Les couleurs sont froides, la peinture craquelée et la descente en enfer semble ne pas s’arrêter. Pour nourrir son appartement aux airs de bouledogue, il est obligé de trouver du travail dans un kolkhoze agricole. Le film, aux accents tragicomiques, se caractérise par sa grande maîtrise technique et une certaine cohérence esthétique, aux frontières du réalisme. Priit Tender est familier du processus d’adaptation d’un poème en animation. Il avait ainsi déjà adapté le poème Taimne direktor d’Andres Ehin dans le cadre d’un projet collectif. Priit Tender décrit brièvement sa méthode d’adaptation dans une interview (en estonien) au site ERR et on pourra voir quelques images fascinantes des coulisses du tournage dans un extrait d’Aktuaalne Kaamera.
Priit Tender est une figure de proue du cinéma d’animation estonien. Né en 1971, il a déjà remporté de nombreux prix, tant en Estonie qu’à l’international (mais encore jamais à Annecy). Ses réalisations recourent à des techniques et à des styles très variés. L’ambiance de Orpheus par exemple est colorée, contrastée, avec une musique aux tonalités dansantes : tout le contraire de Koerkorter.
Eeva
Le dessin animé esto-croate Eeva (2022), de Morten Tšinakov et Lucija Mrzljak est d’un style encore différent : le dessin est pastel et joue sur des contrastes de blanc et de gris qui donnent une allure fantomatique aux vivants. On retrouve cette palette sobre dans deux productions plus anciennes au ton surréaliste qui ont marqué les débuts des deux auteurs : A Demonstration of Brilliance in Four Acts (2018) ou The Stork (2020). Mais cette fois, il s’agit bien d’un enterrement, et ces couleurs pâles prennent un sens particulier, où l’on ne distingue plus bien les vivants et les rêves.
À la différence de Koerkorter, Eeva n’a été dévoilé que très récemment, en février dernier à la Berlinale. Il n’a donc pas encore reçu de récompenses, mais le palmarès des deux derniers films du duo d’auteurs n’est pas négligeable et récompense les qualités esthétiques autant que scénaristiques de leurs films. Le producteur croate, Adriatic Animation, s’est associé au studio estonien Joonisfilm. Morten Tšinakov est estonien, tandis que Lucija Mrzljak est née en Croatie, mais tous deux ont étudié le cinéma en Estonie, à l’Académie des Beaux-Arts, notamment avec Priit Pärn, une référence du cinéma d’animation européen. Tous deux collaborent régulièrement. On pourra lire une interview en français relative au film Eeva sur le site Lepolyester, et une autre plus complète en estonien sur Sirp. Enfin, le film est accessible en Estonie en vidéo à la demande sur Arkaader.
Quand ? du 11 au 17 juin 2023
Où ? à Annecy, en sélection