Martin Carayol, auteur du blog rock de Libération (http://eurock.blogs.liberation.fr/) passe en revue pour nous dix grands noms représentatifs du rock estonien, des origines à nos jours.

1. Ruja

Commençons d’emblée avec l’un des noms les plus légendaires de la tradition rock estonienne. Caractérisé par un sens mélodique hors pair, des compositions riches et bien produites, des textes poétiques qui font encore aujourd’hui vibrer les Estoniens, sans compter un chanteur excellent prématurément disparu (Urmas Alender), Ruja a tout pour briller au firmament de la musique estonienne. Les albums sont certes inégaux, avec certaines chansons un peu trop hasardeuses, et une certaine hétérogénéité de style, mais il paraît évident que Ruja est le groupe de rock estonien qui détient le plus grand nombre de très bonnes chansons. « Must lind » n’est pas forcément la plus rock’n’roll, mais c’est indéniablement une des pièces maîtresses de leur répertoire.

  2. In Spe

In Spe est célèbre pour être le groupe dans lequel Erkki-Sven Tüür, compositeur de renommée désormais internationale, fit ses premières armes. Leur premier album, éponyme, date de 1983, et est un véritable chef-d’œuvre de rock progressif, à tendance expérimentale dans la forme mais sans jamais perdre de vue le primat de la mélodie. La face A, consacrée à une « Symphonie pour sept musiciens », pourrait être du King Crimson première manière, si la rage du groupe anglais n’était tout à fait étrangère au caractère de Tüür et ses acolytes, qui préfèrent la remplacer par un goût prononcé pour une rêverie électronique rappelant autant Tangerine Dream que SBB. L’extrait ci-dessous comprend tout l’album, car l’écoute intégrale est chaudement recommandée à tout amateur de rock.

  3. Ultima Thule

Il s’agit d’un groupe de blues rock vigoureux (avec parfois des accents progressifs, par exemple sur la chanson « Tuulemeelne »), actif depuis 1987 et marqué par la voix rauque et mordante du chanteur Riho Sibul. Dans les premières années, l’autre chanteur était Tõnis Mägi, devenu en solo une vedette incontournable de la chanson estonienne. Sur quelques chansons, et notamment sur celle que je vous présente ci-dessous (peu représentative, mais c’est une de mes préférées), chante également Silvi Vrait, dont les accents incantatoires assez inquiétants rappellent l’importance de la sorcière dans le folklore estonien.

  4. Gunnar Graps

Trop tôt disparu, Gunnar Graps reste la grande idole rock des Estoniens. Actif principalement dans les années 70-80, généralement partisan d’un blues rock simple et direct, Gunnar Graps a également composé de très bonnes chansons de pur hard, avec des riffs très habiles, autant d’écrins destinés à mettre en valeur sa voix puissante. Sur ses meilleures chansons, on n’est pas si loin d’Aerosmith, ainsi sur ce « Hingeleegid ».

  5. J.M.K.E

On est avec J.M.K.E dans la quintessence du punk international : chansons fondées sur quatre accords, voix brailleuse et gouailleuse, revendications politiques, atmosphère foutraque. Leur premier album, Külmale maale (Vers le pays froid), est une incontestable réussite, et est à juste titre considéré comme l’un des meilleurs disques estoniens de tous les temps. Plus je l’écoute, plus je me dis qu’il est encore plus que cela.

  6. Vennaskond

Indissolublement liée à la figure de Tõnu Trubetsky, poète et figure culturelle en Estonie, la Confrérie (Vennaskond en estonien) est un groupe dont la musique constitue un juste milieu entre rock, hard et punk, un peu austère vocalement (Trubetsky chante moins qu’il ne parle), mais dont les chansons dégagent bien souvent une grande intensité, surtout quand elles mêlent à leur noirceur subarctique des sons d’accordéon leur donnant un faux air de Pogues.

  7. Röövel Ööbik

Parmi notre sélection, voici le groupe qui se rapproche le plus d’un groupe pop classique, avec des influences qui les situent quelque part entre l’énergie ostentatoire de la brit pop et l’ironie slacker de Pavement et ses épigones. Leur grand classique est l’album Popsubterranea, en 1992, mais leur dernier disque, Ringrada, en 2009, ne manque pas d’intérêt, avec ses accents glam inattendus, son tube-canular « Kids stuff rokk » et son pastiche de Depeche Mode « Young godz have fun ».

  8. Vanilla Ninja

On change complètement de registre avec ce groupe, que j’ai choisi pour illustrer les récents succès du rock estonien à l’exportation (j’aurais pu évoquer aussi Ewert and the two dragons). Vanilla Ninja, ce sont quatre belles Estoniennes qu’une maison de disque décide de faire travailler ensemble pour vendre beaucoup de disques. Et ça marche. Surtout dans les pays germanophones et en Pologne, dieu sait pourquoi… Alors oui, c’est un groupe à visée mercatique, mais quand les chansons sont efficaces, pourquoi nier le caractère sympathique de l’entreprise ? Ce ne sera jamais pire que Pink ou Avril Lavigne. Attention toutefois, en raison des ambitions commerciales du groupe, elles utilisent des claviers immondes et font des clips ineptes. La preuve :

9. Metsatöll

Ce groupe qui ne cesse de faire de nouveaux adeptes sur toute la planète est tout simplement l’un des plus grands groupes de métal des années 2000-2010. S’illustrant dans le genre difficile du folk-métal (un métal incorporant des instruments traditionnels et des éléments inspirés du folklore musical local), Metsatöll a fait paraître plusieurs albums parfaitement réussis, où la raucité des voix, la véhémence des guitares et l’inflexibilité des rythmes composent un cocktail efficace et prenant.

  10. Vaiko Eplik

Vendu comme le dernier petit génie de la pop estonienne, Vaiko Eplik est en tout cas extrêmement productif puisque depuis 2006 il sort en moyenne un album par an. Oscillant entre pop champêtre gentiment psychédélique et pop électro cosmique aux fortes réminiscences airesques (« Jaanuar » https ://www.youtube.com/watch ?v=HX1…, sur son deuxième album, évoque de façon évidente le duo versaillais), Vaiko Eplik semble toujours, nonobstant ses sept ou huit albums déjà publiés, se chercher un style. Ou se rêve-t-il en Beck estonien, protéiforme et touche-à-tout ? L’avenir le dira.